Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Cultures et confiture
23 décembre 2006

Proust, le plus doux des malentendus

images_6_

Parmi les auteurs habillés - les malheureux ! - de la digne étiquette de "classiques", Proust est sans conteste l'un des plus sujet aux préjugés. C'est à dire qu'il suscite, dans le meilleur des cas, la crainte. Et dans le pire, une moue dubitative qui tourne au soupir excédé. Ceux qui ne l'ont pas lu s'enquiquinent déjà, à la simple évocation de son glorieux petit nom. Chapeau l'artiste ! Tant qu'à ne pas être aimé, autant être franchement réprouvé. (Et puis, quand on est lu à la loupe par un bon millier de thésards, chaque année, il est plus facile d'admettre la controverse.)


Rétablissons la vérité.

La Recherche du temps perdu s'étire avec bonheur sur sept volumes de 500 pages chacun. Pas de quoi fouetter un Charlus, mais la chose suffit à en effaroucher certains. Allez savoir, pourquoi.
Au cours de ces sept volumes, portant chacun les plus délicieux titres possibles (
Du côté de chez Swann, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Du côté de Guermantes, Sodome et Gomorrhe...), il ne se passe pas grand chose. Mais tout est intéressant.
Les jeux de barre au Luxembourg (amis du signifiant ?) (Pardon, je m'égare.), les amours muettes de l'enfance, les goûters à la campagne, avoir une Tante mal en point, le génie des robes, la voix d'un garçon d'hôtel, les couleurs de la mer, l'art de se pourrir la vie à force de jalousie, l'antisémitisme aristo, les défenseurs éclairés de Dreyfus, le sexe, le sexe sale, la saleté bourgeoise, la bourgeoisie foireuse, la foire aux obsénités mondaines, les mondanités décaties... Le narrateur, dont on sait à peine le prénom (il est évoqué une fois, comme par accident), assiste à des milliards d'évènements, miscroscopiques ou essentiels, dont il se pourlèche comme un chat.
Il s'en pourlèche, c'est à dire qu'il polit chaque facette du visible pour en faire un bijou de beauté, de pensée et d'humour.

Car le lecteur de Proust se marre. S'il a compris le swing, bien entendu. S'il sait suivre l'esprit du narrateur, tout en s'en dégageant assez pour rire, plus encore que l'auteur. Bref, s'il saisit tous les plaisirs d'écriture, les bonheurs de trouvaille, les allusions coquines, les jeux de regard auxquels se livrent constamment les personnages. Proust mis en scène par un type aussi doué que lui aurait laminé Feydeau.

Les auteurs classiques le deviennent. Avec le temps, et l'incompréhension qui lui est, parfois, liée. Proust fait partie de ces génies littéraires dont la renommée accable davantage qu'elle ne suscite. Peut-être parce qu'il n'a pas su faire moins que ce que son idéal lui dictait. Parce qu'il savait écrire comme on voudrait rêver : en détails, sans oubli, sans perdre au matin le fil de son récit.

La Recherche du temps perdu est un texte qui se désire et emporte, bien plus loin que le parfum d'une madeleine sur le bout de la langue. Il est un texte secret, dont nul ne peut parler sans l'avoir de lui-même effleuré. Serait-ce là son mystère ? Ce que l'on sait, qui est beaucoup, c'est que l'on voudrait tout oublier de sa lecture pour le retrouver intact, lointain. Et possible à découvrir, encore, pour soi.

*******************

Cette petite note m'a été suggérée par le cours proposé depuis le 30 Novembre  par Antoine Compagnon, au Collège de France. Son séminaire intitulé "Proust, mémoire de la littérature" reprendra mardi 9 janvier à 16h30, Amphi Marguerite de Navarre. (Collège de France, 11, place Marcelin Berthelot dans le 5e.)

Publicité
Commentaires
Cultures et confiture
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Cultures et confiture
Publicité