Houellebecq et ongles
On se plait, parfois, dans le préjugé. Après avoir recueilli quelques informations, paroles prononcées, images à charge, on se laisse glisser avec aisance et bonne conscience dans le plaisir de l'idée tranchée.
Le hasard des échanges, lectures, rencontres, modifie le regard. C'est alors que le plus intéressant démarre : tout repenser, sous les spotlights de notre lucidité nouvelle.
Je n'ai jamais cédé à la passion Houellebecq. Ni en bien ni en mal.
Je considérais, vite fait, les piles de livres arborant son nom, dans les librairies, les Fnac et les gares.
Je savais de ses textes ce qu'il y a à en savoir quand on en sait peu : l'intrigue, vaguement, les polémiques, évidemment. Un peu de tourisme sexuel, de sexe étrange, de littérature "au vitriol", comme on dit.
Quant à le lire... J'en avais trop entendu. Trop de fouillis. Trop de babils.
Bref : la barbe.
Et puis le grand méchant homme, clopant à tout-va, toutou à ses pieds, ça va cinq minutes. Les images se mêlent un peu trop de littérature, comme si la TV pouvait nous aider à comprendre un auteur. Proust chez Guillaume Durand, je ne dis pas. Balzac chez Poivre, ça pourrait être sympa.
Mais Houellebecq ! Un homme que l'on pourrait croiser tous les matins en allant chercher le pain. Ses bouquins ne semblent guère aimables, on ne va pas croire que le type l'est davantage. Les yeux sont le miroir de l'âme... Les livres aussi, tout de même.
Et puis un jour (hier), mon préjugé, tout recroquevillé, engourdi, habitué à sa pose, s'est avisé de vérifier s'il était bien mis. Juste pour voir si l'auteur auquel il avait été consacré était si inintéressant qu'on le croyait - c'est à dire, pour moi.
Un coup d'oeil sur un Librio installé en bonne place, à l'entrée de la librairie. L'idée, l'envie, la curiosité vague de l'ouvrir et d'y voir de plus près. Stupeur. Je feuillète Rester vivant, mince recueil de nouvelles, et le sourire me monte aux joues.
La nouvelle eponyme est une méthode à l'usage des aspirants poètes. Pour eux, une seule manière d'accéder à l'Art : souffrir. Pas n'importe comment : en baver, se faire jeter, aimer sans retour, être timide aussi, ça crée de la sensibilité. Il ne faut pas aller trop loin, non plus : la clochardisation est recommandée, on peut vivre aux crochets des potes ou des alloc', mais interdiction de mourir ! "Un poète mort n'écrit plus. D'où l'importance de rester vivant."
Mon préjugé, tout penaud de se trouver charmé par la prose de Monsieur, s'est est allé prendre quelques vacances. Pour ne pas rester seul, il est parti rejoindre un autre pote aux idées tranchées. A ce que j'en sais, ils luttent tous les deux contre ce léger préjugé que je nourris (honte à moi), à l'encontre de Christine Angot... Il m'est avis qu'ils ne seront pas trop de deux !
En attendant son retour, je m'amuse du cynisme amusant de Houellebecq. Pas sûr que je devienne une réelle amatrice, ni même que je lise tous ses autres livres. Mais j'ai appris que le préjugé est non seulement le poison de l'intelligence, mais aussi celui de la joie de lire. Le bonheur peut-être en tout, même dans l'improbable. La vie est plutôt belle, du coup.
Rester vivant, et autres textes.
Michel Houellebecq
Librio, 2 euros.