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Cultures et confiture
4 juin 2008

Sophie Calle, ça fait mal

Sophie_Calle

Sophie Calle est une figure incontournable de la scène artistique française de ces dernières années. Photographe, plasticienne, vidéaste et écrivain, on la retrouve toujours différente, ailleurs. Mais finalement, toujours, fatalement, très cohérente.

La cohérence ? Le choix d'une bizarrerie, d'une intrusion, d'une impudeur appliquée à soi-même ou aux autres. Chaque exposition de Sophie Calle est un petit phénomène : fenêtre ouvetre sur les intimités, bas les masques et fonce dans le tas. On aime. Ou pas.
En 2003, Beaubourg lui a consacré une vaste rétrospective. Nature curieuse, je vais voir. Stupeur. Plusieurs de ses travaux sont présentés. En vrac ? Un lit, dans lequel vont se succéder plusieurs jours durant, des individus hommes et femmes. Chacun y passe quelques heures, somnole, ou dort profondément. Au chevet, Sophie Calle photographie. Draps froissés, corps innocents du sommeil. Pourquoi ? Pourquoi pas. Autre idée : Sophie Calle embauche un détective privé et se fait suivre lors de ses journées. Marches dans la rue, arrêt au cimetière, Sophie Calle joue à se faire avoir. Histoire de vivre ce qu'elle ne rechigne pas à imposer aux autres ?
Il y a de nombreuses années, l'une de ses idées consista à feuilleter les pages d'un carnet d'adresses trouvé (?), subtilisé (?), puis à contacter les personnes y figurant afin qu'elles lui parlent du propriétaire. Il y a de la gêne dans l'air, on dit que le propriétaire en aurait vivement souffert.

Pour sa dernière exposition, Sophie Calle opère une plongée dans la douleur amoureuse. Un homme lui adresse une lettre de rupture :

" Je n’ai pas su répondre. C’était comme s’il ne m’était pas destiné. Il se terminait par ces mots : Prenez soin de vous. J’ai pris cette recommandation au pied de la lettre. J’ai demandé à cent sept femmes – dont une à plumes et deux en bois –, choisies pour leur métier, leur talent, d’interpréter la lettre sous un angle professionnel. L’analyser, la commenter, la jouer, la danser, la chanter. La disséquer, l’épuiser. Comprendre pour moi. Parler à ma place. Une façon de prendre le temps de rompre. A mon rythme. Prendre soin de moi."

Soit. Comme souvent, le projet charme par son originalité. Mais qu'en est-il, dans la vraie vie ? En vrai, on se rend à la Bibliothèque Nationale, rue de Richelieu à Paris. Superbe édifice, douce empreinte des savoirs et manuscrits encore réunis dans les lieux. Quelque part dans les bâtiments, les écritures de Proust, Flaubert ou Montaigne sont nichées bien à l'abri.
La salle d'étude, aujourd'hui fermée aux étudiants et chercheurs, accueille l'exposition. Les étagères de livres ont été vidées mais la magie opère : enfilades de bureaux en bois vernis, lampes individuelles, hauteur de plafond à toucher les étoiles.

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Dans ce lieu de paix, le vacarme. Pas exactement du bruit, du brouhaha. Incessant. En face de l'entrée, un écran projette l'image d'une femme interprétant la lettre de rupture en langage des signes. Sur les petits bureaux, des écrans plats ont été placés : sur chacun, une femme exprime sa version de la lettre en lisant, chantant, criant, dansant. Ici, Arielle Dombasle s'énerve, là-bas, Nathalie Dessay mime un baiser à la caméra, plus loins une voyante tire les cartes pour y voir plus clair, une pianiste adapte en notes les mots de l'homme indélicat. De toutes parts, des visages, des mondes, des moyens, des sensibilités, des voix. Les voix mêlées sont discordantes, assourdissantes, fatigantes. On peine à se concentrer, un flot d'inquiétude n'est pas loin de monter. L'homme l'a quittée, l'a fait souffrir. Que reste-t-il de cette souffrance ? Un bruit et du malaise. Comme s'il nous fallait porter, nous aussi, cette histoire qui n'est pas la nôtre.

Si vous êtes curieux de voir cette exposition, sachez qu'elle dure jusqu'au 15 juin 2008. Vous pouvez aussi profiter de votre passage à la Bibliothèque Nationale pour découvrir les irrésistibles caricatures de Daumier, qui sont également exposées actuellement.

Si cela ne vous dit rien, le quartier Richelieu vaut tout de même le détour : galeries couvertes, libraires anciens, salons de thé raffinés sous les lambris et à deux pas, la fameuse cave Legrand dans laquelle vous trouverez des trésors de vins et gourmandises à déguster toute l'année ! Il y a même un espace de dégustation-restauration, avec des plats ultra-soignés. Un bonheur !

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